Antigone
4 - 11
juillet 2018
Un festival
à Villeréal
En 2018, notre projet de création d’Antigone d’après Bertolt Brecht a été sélectionné dans la programmation d’Un festival à Villeréal.
Nous sommes donc parties pendant un mois et demi - de mai à juillet 2018 - avec une équipe entièrement féminine, pour monter cette œuvre majeure du théâtre antique qui a traversé les siècles et qui reste inexorablement actuelle. A Villeréal il n’y a pas de théâtre et l’enjeu est de faire naître des créations in situ. Nous avons donc choisi de créer Antigone en plein air, dans le jardin d’une maison désaffectée. Ça a été une expérience artistique fascinante, qui a eu un excellent accueil de la part du public et des professionnels de la région.
photos sur cette page ©Lucie Gautrin et ©Janaina Wagner
Antigone
-
Une Antigone jouée par cinq comédiennes
Dès les débuts de la recherche autour de ce texte, j’ai eu le désir de le monter avec une équipe exclusivement féminine. Les comédiennes jouent donc tous les rôles, y compris les rôles masculins. Bien que le théâtre contemporain nous permette largement cet abordage, il y a surtout dans ce choix le geste d’un clin d’œil provocateur au théâtre antique, qui pour sa part n’était joué que par des hommes, les femmes n’ayant pas le droit – entre autres choses – de monter sur scène ; en résumé, une société, bien que démocratique, résolument patriarcale.
Si les choses ont énormément évolué dans notre société, celle-ci reste majoritairement dirigée par les hommes. Antigone, ici et aujourd’hui, ne cesse de subir son destin tragique, aussi parce que c’est une femme qui affronte l’homme au pouvoir.
Dans cette mise en scène j’ai eu donc envie de donner la place aux femmes, à leurs voix, leurs corps, à la possibilité pour les comédiennes de jouer des rôles masculins. J’ai voulu faire l’expérience de créer entre femmes.
A la date du 17 septembre 1941, à Riga, pendant l’occupation nazie, une jeune fille est surprise en train de répandre de la terre sur le cadavre de son frère qui vient d’être exécuté et exposé en public. La politique est totalement étrangère à ses sentiments. Quand on lui demande la raison de son geste, elle répond: “C’était mon frère. Pour moi, cela suffit. Les Antigones, Georges Steiner
L’adaptation de Brecht, qui préserve dans l’ensemble le texte de Sophocle, introduit d’emblée une modification fondamentale : Créon, tyran de Thèbes, mène une guerre impérialiste contre Argos. Étéocle meurt au combat, Polynice veut déserter ; Créon le tue, ordonne qu’on laisse son corps sans sépulture. Antigone se révolte, mais contrairement à la tragédie grecque, elle n’invoque pas
les dieux, mais l’humain. -
Chœur
Dans la version de Brecht, une autre force se déploie : la cité de Thèbes et son implication, voire complicité, dans la guerre contre Argos. Dans sa pièce, Brecht personnifie la cité accusée en un Chœur des Anciens, « la haute bourgeoisie dirigeante ». Dans ma mise en scène, le chœur est présent sur le plateau, représenté par les comédiennes (à tour de rôle) portant des masques, puis cette personnification se voit élargie à tout le public, qui devient alors part active dans le jeu du plateau, regardant, mais aussi étant vu : « chercher à voir, c’est être vu », dit Brecht dans son prologue.
Le public est donc provoqué dans sa place de spectateur, car Antigone s’adresse concrètement à lui quand elle implore secours : « Je vous appelle : aidez-moi dans ma détresse, c’est à vous-même que vous viendrez en aide. » Il s’agit d’un appel intime, pour sauver sa propre vie, mais c’est aussi et surtout un appel au soulèvement, afin que le peuple ose prendre les choses en main.Le célèbre dialogue d’Antigone et Créon apparaît dans notre proposition comme une sorte de procès devant un tribunal, la présence du public est entièrement prise en compte et
joue un rôle très important, comme si à chaque représentation quelqu’un pourrait s’élever et changer les lignes du destin de Thèbes.
Plus tard c’est Créon, dans son désarroi, qui crie : « Ingrats ! Vous vous gavez de viande, mais le tablier plein de sang du cuisiner vous répugne ! Je vous ai donné du bois de santal pour vos maisons et le bruit des épées n’y pénètre pas. Ce bois, c’est d’Argos qu’il vient ! Et les plateaux de bronze, eux aussi rapportés d’Argos, personne encore ne me les a renvoyés : penchés au-dessus d’eux, vous me rapprochez le carnage qui se fait là-bas, vous vous plaignez de ma dureté. Je suis habitué à une colère bien plus grande, quand le butin n’arrive pas. » Cette inclusion de la présence du public dans les actions de la tragédie me paraît fondamentale pour amplifier l’idée brechtienne : « les maux des hommes sont entre les mains des hommes eux-mêmes. »
Choralité
Le travail choral est la base du travail de plateau au sein de la Cie BrutaFlor. Cette fois-ci, un chœur de cinq femmes traverse la tragédie grecque réécrite par Brecht, à la fois comédiennes, à la fois musiciennes, on raconte, on chante, on joue. Les comédiennes incarnent plusieurs rôles à la fois, leur présence chorale sur la scène est quasiment totale. Cette façon d’aborder le théâtre efface toute prédominance de protagonistes, même dans un texte
avec des personnages si emblématiques comme ceux d’Antigone et Créon.La choralité n’est pas seulement un choix esthétique, mais une façon d’organisation au sein du travail de création. La présence de chaque comédienne est vitale pour la construction de notre objet scénique et cela se verra plus tard dans le résultat du spectacle.
Musique
Dans toutes les tragédies athéniennes, les chants y tiennent une place essentielle. Nous avons voulu que la musique ne provienne donc que du plateau, jouée et chantée par les comédiennes-musiciennes.
J’ai donc invité Laure Nathan et Valeria Dafarra pour assumer la direction musicale de ce travail.
Nous avons mis en musique une partie de textes, notamment pendant la parados et les stasimons, mais avons greffé également quelques temps de chants, de chansons existantes, qui viennent souligner certaines parties du texte, ou de ponctuations instrumentales, jouées au violon ou à la percussion par les comédiennes. -
En 1948, trois ans après la fin de la deuxième guerre et la chute du III Reich, Brecht adapte Antigone de Sophocle et l’appelle Modèle Antigone 1948. C’est la première pièce qu’il va écrire et mettre en scène post-guerre. Tirée de Sophocle via la traduction d’Hölderlin, l’auteur se sert du mythe d’Antigone pour faire une analogie avec la chute du IIIe Reich, de son peuple et ses dirigeants. « Des déserteurs, des adolescents affolés par la peur, des soldats qui avaient perdu leurs unités débandées, se retrouvaient pendus aux réverbères de Berlin. Quiconque se risquait de dépendre leurs cadavres couverts de mouches pouvait être exécuté sur-le-champ. »
Les Antigones, Georges Steiner
L’adaptation de Brecht, qui préserve dans l’ensemble le texte de Sophocle, introduit d’emblée une modification fondamentale : Créon, tyran de Thèbes, mène une guerre impérialiste contre Argos. Etéocle meurt au combat, Polynice veut déserter ; Créon le tue, ordonne qu’on laisse son corps sans sépulture. Antigone se révolte, mais contrairement à la tragédie grecque, elle n’invoque pas les dieux, mais l’humain.
-
Texte Bertolt Brecht
Traduction Maurice Regnaut
Mise en scène Flavia Lorenzi
Jeu Camille Duquesne, Laure Nathan, Maïe Degove, Valeria Dafarra et Venia Stamatiadi
Direction musicale Laure Nathan et Valeria Dafarra
Costumes, scénographie & masques Janaina Wagner
Co-production Un festival à Villeréal - édition 2018
Production Cie BrutaFlor
Avec le soutien TDI (Théâtre à Durée Indéterminée), Shakirail, Le Réseau Actes if, Centre Culturel de Fumel (Valée du Lot)